Barnabé sort de sa chambre en bâillant. Aujourd’hui, le 1er mai, est un jour férié : pas d’école, pas de réveil qui sonne, et ses parents ne travaillent pas. Pourtant, le petit garçon s’est levé presque comme d’habitude, quand le soleil a commencé à venir lui chatouiller les paupières. Apparemment, il n’est pas le seul debout, de la musique lui parvient de quelque part dans la maison. Il se rend aux toilettes, se lave les mains et se passe un peu d’eau sur le visage pour finir de chasser les restes de sommeil.

Quand il tourne le coin du couloir, il sursaute. Une fumée blanche s’échappe de la cuisine, accompagnée d’une horrible odeur de brulé.

— Oh non… gémit Barnabé.

Il a très bien compris l’origine de la fumée et son nez a identifié l’odeur. Sa maman a une nouvelle fois décidé de préparer des crêpes pour leur faire plaisir. Normalement, il devrait se sentir content. Sauf que… Linda, sa maman, est une super maman. La meilleure du monde ! Seulement, la cuisine n’est pas du tout ce qu’elle réussit de mieux. Autant elle est championne de câlins, reine des chatouilles, impératrice des grimaces terribles ; autant dès qu’elle passe son tablier où est écrit Génie en cuisine, ça tourne sans faute à la catastrophe.

Si elle veut préparer des nouilles, elles sont tellement cuites qu’on croirait manger des éponges. Ses pommes de terre se dégustent presque crues, à s’en casser une dent. Même ses œufs sur le plat sont ratés et le jaune systématiquement crevé. Les crêpes, Barnabé ne se souvient pas qu’elle en ait jamais réussi une seule. Cela finit par une montagne de pâte molle, cramée à l’extérieur et gluante à l’intérieur.

Contrairement à sa sœur Clara, qui ne se gêne pas pour tout recracher, Barnabé ne veut pas peiner sa maman. Il avale courageusement tout ce qu’elle dépose devant lui. Même s’il a mal au ventre après. C’est aussi ça, l’amour. Après tout, elle a tellement d’autres qualités !

Ce qui n’empêche pas le petit garçon d’être secrètement heureux que ce soit son papa qui se charge des repas, en général. Il soupire un bon coup. Tant pis. Il se résout à la rejoindre, en murmurant à son estomac :

— Ne t’en fais pas, c’est juste un mauvais moment à passer.

Lorsqu’il entre dans la cuisine, c’est pire que ce qu’il pensait. Un épais nuage plane dans toute la pièce. Ça pique les yeux et ça gratte la gorge. Il devine la silhouette de sa maman face à la cuisinière. Elle tousse et agite une main devant son visage pour mieux voir. De l’autre main, elle saisit la crêpière et se dirige vers l’évier. Au moment où elle ouvre le robinet et asperge la poêle brulante, le papa de Barnabé surgit à son tour et s’exclame :

— Linda ! Non ! Surtout pas !

Trop tard. L’eau froide atteint le métal surchauffé, provoquant une fumée encore pire dans un long psssssschhhhhh sonore. Barnabé secoue la tête. Décidément, l’entrée de la cuisine devrait être refusée à certaines personnes. Il se dit qu’il va proposer à sa copine Myrtille de l’aider à dessiner un panneau INTERDIT À MAMAN. Son idée le fait rire, il imagine l’effet de son affichage sur sa famille.

— Barnabé ! grogne papa. Au lieu de glousser bêtement, va donc ouvrir la fenêtre. Et toi, Linda, tu t’assieds et tu ne touches plus à rien. Je m’occupe des crêpes.

Un peu honteux de se moquer ainsi, Barnabé obéit aussitôt. Il se précipite, tourne la poignée et ouvre en grand. La brise printanière entre dans la cuisine et commence à chasser la fumée vers l’extérieur. Peu à peu, l’odeur de brulé est remplacée par celle de l’herbe fraichement coupée.

Linda a rougi, elle se sent triste d’avoir une nouvelle fois loupé son coup malgré ses efforts. Barnabé se jette dans ses bras.

— Je ne t’en veux pas, maman, murmure-t-il. Ce n’est pas très grave, tu t’en sortiras mieux un autre jour.

Linda lui caresse les cheveux et lui adresse un clin d’œil reconnaissant. Pendant ce temps, Franck, son papa, s’affaire à rattraper les dégâts. Très vite, de belles crêpes appétissantes atterrissent dans les assiettes. Le voisin de Barnabé passe la tondeuse dans son jardin, cela fait un tintamarre de tous les diables. Clara, qui les a rejoints, se relève en ronchonnant.

— C’est insupportable, tout ce boucan. Il ne peut pas s’occuper de ça à un autre moment que le petit déjeuner ?

Elle s’apprête à refermer la fenêtre, mais arrête son geste. Bouche bée, elle reste plantée là, sans rien dire.

Laisser un commentaire