Un vendredi soir sur la Terre.
On se demande quoi regarder, notre choix se porte sur MI-5 Infiltration. Un thriller palpitant, une menace terroriste sur Londres. Et puis, il y a Kit Harington. On se demande s’il vaut quelque chose en dehors de son rôle de Jon Snow. Il y a aussi Peter Firth, l’éternel Harry Pearce de la série.
Bref, un truc carré, efficace. Le genre de film qui te promet de tenir ta soirée.
Allez, c’est décidé !
On s’installe sur le canap’, plaid sur les genoux, routine tranquille. Le chien qui ronfle doucement, l’infusion qui refroidit, la lumière douce.

Happée par le film, je remarque à peine que mon portable clignote sans arrêt. Des notifs qui s’empilent, comme si quelqu’un tapait frénétiquement à la vitre du monde. Je finis par regarder.
— Il y a eu un attentat à Paris, apparemment.
On échange un regard. Triste, désabusé, meurtri.
Encore ? Charlie n’est pas si loin, quelques mois à peine. Le choc n’est pas résorbé, le trauma perdure dans les veines du pays.

Sans se concerter, on décide de faire l’autruche. Finissons le film, on verra après. L’ironie absurde de regarder un film d’attentat au moment exact où l’horreur s’infiltre dans la réalité.
Mais le téléphone s’illumine toutes les dix secondes, comme un sapin de Noël sous amphets. On met sur pause et on regarde. L’horreur, l’enfer en direct, encore flou, encore incomplet.
Le cœur gros, l’humanité en miettes, on poursuit le film. Pour préserver notre innocence encore un peu ?

Ça tire, ça explose, ça cavale. Mais ça finit bien. Les méchants sont vaincus, les good guys l’emportent. Évidemment.

Après, on va fumer notre clope dans le jardin avec le chien. Il fait frisquet, les ombres de la nuit semblent plus menaçantes que d’habitude. Le silence pèse. Il est assez tard pour que les infos commencent à donner des chiffres, des faits, des images.
Les premiers « je cherche ma sœur », « quelqu’un a des nouvelles ? ».
On reste là, on scrolle jusqu’à la nausée. On n’y croit pas, ou, plutôt, on refuse d’y croire.
Croire, c’est rendre réel.
On a l’estomac de travers.
Pourquoi, merde ? Pourquoi ?

Le lendemain, on a des places pour un spectacle d’ Improvergne, à trois minutes de la maison. Toute la journée, on hésite. Y aller ? Pas y aller ? Va-t-il seulement avoir lieu ?
Entrer dans une salle de spectacle le lendemain du Bataclan, c’est pas simple. Le cœur est lourd, les larmes ne sont pas loin.
L’ambiance est… particulière. Les gens s’épient en douce, les regards accrochent puis dérapent.
Lui, avec son sac à dos, il cache une arme ?
Elle, qui ne cesse de se tortiller sur son siège, c’est normal ou de mauvais augure ?
La sortie est facilement accessible ? Et si… ? Et comment… ? Et est-ce que… ?
Je respire trop vite.

Toutes ces questions virevoltent dans l’air.
Pourtant, tous, nous sommes bien décidés à faire de notre présence un acte militant, une profession de foi. Nous ne les laisserons pas gagner. Nous ne laisserons personne nous retirer ce qui fait le sel de la vie : le rire, l’ouverture d’esprit, l’humour noir, le plaisir d’une soirée partagée.

J’admire profondément la troupe d’impro de ce soir-là qui a su, malgré le contexte pesant, aller au bout du spectacle. Leur courage, leur humour un peu tremblant au début, leur professionnalisme bluffant. Je les admire et je les remercie, car je ne suis pas certaine que j’aurais pu retourner dans une salle de spectacle sans eux.
Ils nous ont donné de la résilience, ont remis de la lumière dans un monde plongé dans l’obscurité. Les premiers rires sont sortis, hésitants, presque honteux. Puis plus francs. Puis soulagés de savoir encore comment faire.

Les jours suivants, comme tout le monde, j’ai retweeté ad nauseam les appels désespérés des familles. J’ai partagé, partagé, partagé…
Les réseaux sociaux sont devenus, l’espace d’un moment, une bulle de solidarité, de compassion, d’entraide.
On relayait, parce qu’au fond, nous rêvions tous d’une unique chose : que la vie, pour une foutue fois, ressemble à un blockbuster hollywoodien.
Une fin où les gentils survivent.
Tous.

On voulait une fin heureuse. On a eu la vraie vie.

Et dans la vraie vie, on se bat pour leur mémoire.

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