Je sais, j’ai dit que la partie « Lectures » de mon site devait servir prioritairement à vous faire découvrir des auteurs encore dans l’ombre. Je vais déroger à cette règle aujourd’hui, pour parler d’un auteur déjà très largement sous les projecteurs.

Mais, d’une les règles sont faites pour être transgressées, et de deux ici, c’est moi qui les fixe ! 😉

Donc, je m’autorise à parler de Entre deux mondes d’Olivier Norek, sans me sentir coupable le moins du monde.

Norek, je l’ai découvert avec son polar Code 93. Le hasard a voulu que je le lise juste après avoir terminé l’écriture de Comme un moineau, et j’étais encore fortement imprégnée des personnages et de l’ambiance. Code 93 parle de la même banlieue et des mêmes désespoirs, mais d’une façon très différente. Je m’y suis retrouvée, j’ai revu le 93 de ma jeunesse. Alors, évidemment, j’ai lu les deux opus suivants des enquêtes de Victor Coste, et j’ai été tout aussi bluffée par l’écriture de Norek.

Il a intégré directement la liste assez courte des auteurs dont j’achète le nouveau livre sans même lire la 4ème de couv. Ceux qui pourraient publier une notice de lave-linge et je les lirai quand même (pêle-mêle, cette liste inclut Elizabeth George, Kate Atkinson, Susan Hill, Stephen King, Ken Follett, Robin Hobb, Nick Hornby, Karin Slaughter…).

Tout ça pour dire qu’en commençant ma lecture, je ne savais rien sur le livre, si ce n’est que Coste n’en était pas le héros. Le choc en a été d’autant plus violent.

Le pitch :

Adam Sarkis atterrit dans la jungle de Calais quelques mois avant son démantèlement, fuyant la Syrie. Dans l’attente de retrouver sa femme Nora et sa fille Maya, qui auraient dû déjà se trouver là, il découvre la terrible réalité de la vie de réfugié, et se lie d’amitié avec Bastien Miller, flic comme lui. La vie des deux hommes se trouve bouleversée par Kilani, un enfant soudanais muet, victime de violences inimaginables.

Je ne m’attendais pas du tout à être projetée dans un tel sujet. A grands coups de titres ronflants et de photos chocs dans les médias, nous croyons tout connaître des migrants. Entre deux mondes fait exploser nos certitudes et les stéréotypes rassurants. C’est tellement simple d’occulter que derrière chaque visage entrevu aux infos se cache une vie, un parcours, un être humain. Nous en avons tellement entendu parler que, paradoxalement, ces personnes sont reléguées dans un coin obscur de notre cerveau, comme un bruit de fond auquel on ne prête plus aucune attention.

Le premier tour de force de Norek, c’est de nous obliger à les faire revenir sur le devant de la scène, de leur rendre toute leur humanité. Adam, Kilani, Nora, Maya, Ousmane, Wassim nous hurlent de les regarder en face, de leur offrir le luxe d’exister autrement que dans des statistiques gouvernementales froides. Quel immense cadeau Norek fait à ces anonymes en leur redonnant la place qui est la leur, avec leurs joies, leurs peines, leurs fardeaux, leurs histoires, et les choses qu’ils ont dû consentir à faire pour rejoindre ce petit bout de terre qui reste leur ultime espoir. L’espoir de réintégrer le monde des hommes, celui où l’on possède une légitimité.

Car jamais Norek ne sombre dans l’ornière facile de l’apitoiement larmoyant. Il aurait pu nous parler d’êtres lumineux et purs, « méritants », perdus dans la tourmente. Non. Les migrants d’Entre deux mondes ont tous leurs casseroles à traîner, des poids sur leurs consciences, comme nous tous. « Nous devenons tous des monstres quand l’Histoire nous le propose » dit Ousmane, à juste titre.

Le second exploit de ce roman est de redonner une légitimité à la souffrance de ceux qui sont chargés de gérer au quotidien la situation : flics, CRS, douaniers, ONG. Eux aussi hurlent de désespoir muet face aux ordres stupides et contradictoires qu’on leur donne, ils ont pleinement conscience de l’absurdité de leur tâche. Et ils en saignent intérieurement, tentent comme ils peuvent de préserver leur âme qui s’étiole un peu plus chaque jour. Ils tentent de faire ce qui est juste si l’occasion leur est donnée. Parfois (souvent) en vain.

La plume de Norek est acérée, vitriolée parfois quand il s’agit de décrire la sauvagerie dont certains font preuve pour survivre, elle est âpre pour nous montrer les stratégies employées par les deux « camps » pour parvenir à leurs fins. Car, ne nous y trompons pas, il y a bien deux camps : eux et nous. Eux, ceux qui veulent à tout prix rejoindre cet Eldorado mythique qu’est l’Angleterre « Youké ». Nous, tous ceux qui se dressent en travers de leur chemin. Mais, aussi intolérables que soient les scènes qu’il nous livre, Norek n’oublie jamais de tremper sa plume dans un encrier d’humanité et d’empathie. Chaque mot en est empreint, et c’est diablement efficace. Il nous invite à crever ces frontières inadmissibles entre les camps.

Comme le dit Adam, « le poids des tristesses ne se compare pas », mais est-ce une raison valable pour ignorer les tristesses des autres ?

Sur le même sujet, je vous conseille vivement le film de Philippe Lioret, Welcome, avec un Vincent Lindon solaire (j’ai d’ailleurs lu Entre deux mondes en prêtant les traits de Lindon à Bastien Miller). Voyez également Samba de Tolenado et Nakache.

En toute humilité, je mets un genou à terre et je dis : merci Olivier Norek pour m’avoir rappelé que seul le hasard m’a fait naître bien à l’abri dans une démocratie. La probabilité dont il est question dans le roman, et que je ne vous spoile pas, m’a retourné les tripes. Pour longtemps.

Entre-deux-mondes

 

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