Une question revient souvent sur les salons, quand je discute avec les lecteurs : « Mais vous en vivez ? »
Beaucoup de gens voient encore les auteurs à travers un prisme très 19e siècle : des personnes vivant confortablement de leur plume, qu’on imagine méditer sur leur prochain roman dans un fauteuil de cuir confortable, devant une cheminée, une pipe en bouche pour les hommes.
Les grands auteurs classiques, qu’ils soient hommes ou femmes, bénéficiaient souvent soit d’une fortune familiale conséquente, soit d’une source de revenus complémentaires leur permettant de vivre. À l’époque, on ne concevait pas le droit d’auteur comme aujourd’hui. Les textes circulaient, parfois sous le manteau, sans que les auteurs touchent quoi que ce soit. Les éditeurs-imprimeurs-libraires achetaient les droits à l’auteur, qui ne touchait plus rien par la suite.
L’imprimeur étant celui qui prenait le risque de boire le bouillon en cas d’échec commercial, tout le monde trouvait normal qu’il soit celui qui s’arroge la plus grosse part du gâteau. Il s’en trouvait donc qui payaient des clopinettes pour des textes magnifiques, toujours sur le principe qu’ils faisaient le gros du boulot. Un état d’esprit qui tend à perdurer de nos jours chez certains…
Il a fallu attendre le bras de fer entre Beaumarchais et la Comédie Française (qui jouait des pièces sans reverser une partie des recettes aux auteurs) pour que la notion de droit d’auteur commence à réellement émerger et avec elle, celle de propriété intellectuelle. Autant dire que jusque-là, vivre uniquement de ses écrits relevait de l’impossible (à moins d’être multi-casquettes et immensément productif, comme Shakespeare).
À partir de là, les droits d’auteur ont commencé à apparaître et les auteurs ont pu bénéficier de contrats avec un à-valoir (somme versée lors de la signature du contrat) et un petit pourcentage perçu sur chaque vente.
Aujourd’hui, l’à-valoir tend à disparaître dans les petites et moyennes maisons d’édition, l’unique rémunération des auteurs se résumant aux droits d’auteur, versés une ou deux fois par an (selon les structures) et calculés sur le prix de vente hors-taxe des livres. Le pourcentage accordé aux auteurs varie énormément selon les maisons et le type de livre. Le pourcentage est plus élevé sur un broché que sur un poche, par exemple. En général, cela tourne autour de 10 %, avec des pointes à 7 % ou 15 % (du prix hors-taxe, je le rappelle).
Prenons un exemple concret avec un livre vendu 18 € dans une librairie. Son prix HT est de 16,98 €. Si les droits d’auteurs sont fixés par contrat à 10 %, cela signifie que l’auteur touche 1,69€ par livre vendu. Le SMIC étant actuellement à 1257 €, cela signifie qu’il faudrait vendre 744 livres pour atteindre l’équivalent d’un SMIC.
744 livres. Tous les mois…
Imaginez le même calcul pour ceux dont les maisons d’édition les rémunèrent à hauteur de 6 ou 7 %…
En autoédition, on ne parle plus de droits d’auteur, mais de marges, puisque l’auteur devient en quelque sorte éditeur. C’est lui qui fixe le prix de vente de l’ouvrage et qui en assure l’impression via un imprimeur, une plateforme dédiée type Amazon, un prestataire de services d’impression à la demande (BoD, Librinova, Lulu…). Ou, il y en a encore qui se font avoir, via des éditions à compte d’auteur, véritables arnaques destinées à pomper le fric des gens. L’image de Proust recourant au compte d’auteur et rencontrant le succès par la suite continue à faire du mal !
Les marges en autoédition sont donc forcément plus confortables, puisque la rémunération de l’éditeur tombe directement dans l’escarcelle de l’auteur. Mais elle tourne en général autour de 20-25% une fois retirés tous les frais annexes. Ceux-ci peuvent vite monter, puisque dans ce cas de figure, l’auteur doit lui-même diffuser ses ouvrages (en allant les proposer dans les librairies, par exemple, ce qui implique des coûts de déplacement) et être présent dans les salons et manifestations autour du livre (frais d’inscription, de déplacement, de logement et de nourriture…).
En autoédition, notre livre à 18€ va donc rapporter entre 3,60 € et 4,50 € à son auteur. Il lui faudra donc en vendre entre 280 et 350 pour atteindre un SMIC. C’est mieux, mais inatteignable pour la plupart des auteurs.
Et n’oublions pas qu’après ça, il faudra payer les impôts sur le revenu, puisque les droits d’auteur sont à déclarer et les marges d’autoédition également.
Autant vous dire que pour arriver à en vivre, il faut avoir la foi ! (ainsi qu’un tout petit estomac^^)