C’est samedi. Il fait froid, très froid. La neige qui est tombée pendant plusieurs jours a gelé et de grandes plaques de glace ont envahi les trottoirs. Les gens marchent à tout petits pas, en prenant garde de ne pas glisser. Les sons sont étouffés, comme si quelqu’un avait déposé un couvercle géant sur la ville. Les cristaux sur les vitres sont très jolis, la lumière les traverse et cela forme des arcs-en-ciel incroyables sur le parquet du salon.
Cela n’empêche pas Barnabé de s’ennuyer. Il a joué longuement à faire aller et venir ses mains dans les traits colorés, à souffler de la buée sur les carreaux, afin d’y dessiner des avions. Il a observé les passants et leur démarche ridicule dans leurs grosses bottes. Il a essayé de construire un bonhomme de neige dans le jardin. Malheureusement, la neige a trop durci, il n’arrive pas à la casser.
Alors, il va voir sa maman :
— Je peux aller faire de la trottinette dans la rue ?
En général, elle accepte sans problème. Barnabé est un garçon plutôt sage, il respecte les consignes : ne pas s’éloigner, ne pas rouler trop vite, ne pas bousculer les piétons. Il ne s’expose pas à grand-chose, tous les habitants de ce quartier se connaissent, les enfants y circulent en sécurité. Toutefois, aujourd’hui, Linda, sa mère, fronce les sourcils.
— Je ne sais pas trop, Barnabé. C’est plus un temps à rester au chaud à la maison. Tu risquerais de prendre froid, de tomber malade.
Le petit garçon est déçu, il baisse la tête. Il en aurait presque envie de pleurer.
Sa maman passe sa main dans les boucles brunes toujours dépeignées de Barnabé et soupire :
— Bon, d’accord. Mais paslongtemps ! Et tu te couvres bien. Je veux te voir avec ton écharpe, tes gants et ton bonnet.
Clara, sa soeur, lève les yeux au ciel. Elle est jalouse parce qu’elle a beaucoup de devoirs et qu’elle doit les finir, alors que Barnabé a déjà achevé les siens.
Il chantonne de joie en revêtant sa doudoune et ses bottes de neige. Il déteste porter un bonnet, mais l’enfile quand même. Gare à lui si sa mère le surprend à désobéir !
Une fois dehors, Barnabé réalise qu’elle a raison : il se changerait illico en statue gelée s’il sortait sans rien sur la tête. Il a à peine posé un pied à l’extérieur qu’il sent le froid chercher à se glisser sous ses vêtements. Allons ! Le meilleur moyen de se réchauffer reste de bouger.
Il pousse sa trottinette jusqu’au portail, qu’il ouvre, puis s’élance sur le trottoir. Il zigzague entre les adultes empotés avec habileté, le vent de l’hiver siffle à ses oreilles et lui rougit le bout du nez.
Pour commencer, il descend la rue, passe devant la boulangerie et ses bonnes odeurs de croissants. Son estomac lui explique qu’il ne serait pas contre un petit quelque chose à manger. Barnabé arrête sa trottinette et l’appuie contre un mur. Il voudrait bien fouiller les poches de son jean, il pourrait peut-être y dénicher quelques pièces. Mais ses gants épais le gênent. Il les arrache en s’aidant de ses dents.
Oui ! Il lui reste encore de l’argent que mamie lui a donné !
Un coup d’oeil sur la vitrine lui confirme qu’il dispose d’une somme suffisante pour s’offrir deux pains au chocolat. À travers la buée, il voit la boulangère installer une fournée tout juste cuite. Barnabé s’imagine déjà croquer dans la pâte feuilletée croustillante et chaude, sentir le chocolat un peu fondu glisser sur sa langue. Il salive à l’avance ! Miam !
Barnabé est un gourmand.
Puis il pense à Myrtille, sa meilleure amie. Elle n’est pas venue à l’école pendant deux jours, à cause d’un gros rhume. Elle doit être d’une sale humeur, la pauvre. Sûr et certain qu’un bon pain au chocolat bien doré ne pourrait que lui rendre le sourire.
Son immeuble ne se situe qu’à quelques dizaines de mètres, il peut l’atteindre en moins de deux minutes. Évidemment, cela l’oblige à renoncer à une des deux viennoiseries. C’est un sacrifice qu’il fera volontiers. Quand on est assez chanceux pour avoir de vrais amis, on est prêts à partager avec eux.
Cela signifie aussi qu’il va briser la règle et s’éloigner de la maison un peu plus qu’il n’en a reçu l’autorisation.
Barnabé hésite. Un client sort de la boutique et l’odeur qui chatouille les narines du petit garçon lui fait tout oublier. Il pousse la porte, entre dans la boulangerie.
— Bonjour, madame !