En règle générale, on ne sait pas qu’on voit quelqu’un pour la dernière fois. Et heureusement, d’ailleurs. On dit à tout à l’heure, à ce soir, à demain, à lundi, à la semaine prochaine…, en toute innocence. Sans se douter que ces simples mots auront été un adieu.
Parfois, on sait, et ça n’en rend pas les choses plus faciles.
Si vous me suivez sur les réseaux sociaux, vous savez que cela m’est arrivé par deux fois ces dernières semaines. Pas pour un humain, mais pour un de mes deux chiens.
(Une petite parenthèse s’impose : si pour vous un animal n’est pas une personne à part entière, vous pouvez stopper la lecture ici et reprendre le cours de votre activité, vous perdriez votre temps).
D’abord le 13 janvier. Il devait subir une opération à haut risque le lendemain et nous avons vécu cette journée en partant du principe qu’elle risquait d’être la dernière. Il a survécu et s’est même très bien porté pendant quelques semaines.
Puis le cancer l’a rattrapé et nous l’avons fait euthanasier le 19 février. Après une journée magique pour lui : mon petit-fils et moi à ses côtés, des bains de soleil puisqu’il a fait un temps magnifique et une température très douce, des friandises à gogo, des câlins et caresses non-stop. Et à 18h30, je l’ai accompagné pour ses derniers instants.
Vous vous demandez sûrement quel rapport tout cela peut bien avoir avec les livres. J’y viens.
Nous avons adopté Basile dans un refuge le 27 février 2017, il avait 18 mois. Dès le premier jour, j’ai été son phare dans la nuit, qui le guidait loin des traumas de la maltraitance.
Mais il est aussi devenu le mien, ce dont je n’ai pris conscience que ces derniers jours. Ayant rencontré des problèmes de santé, j’ai subi plusieurs opérations en 2017, 2018, 2019 et 2022, aux convalescences douloureuses et compliquées. Il ne m’a jamais quittée, une présence constante. En phase avec toutes mes émotions, capable de deviner quand j’avais besoin d’un contact rassurant.
Depuis 2021, j’ai dû accepter de faire le deuil d’un métier que j’aimais passionnément et je me suis retrouvée en inactivité. Seule toute la journée chez moi, ne parlant à personne. Les deux choses qui m’ont sauvée : l’écriture et mes animaux.
Depuis 2017, aucune ligne écrite ne l’a été sans Basile à mes côtés. Il m’a écoutée ronchonner quand une scène n’avançait pas comme je le voulais, il levait une oreille quand je relisais un paragraphe à voix haute pour juger de sa musicalité, il venait me réconforter quand ça n’allait pas. Il posait sa tête sur ma cuisse quand il considérait qu’il était temps de quitter les mondes dans ma tête et de réintégrer la réalité. Il m’incitait à faire une pause, je crois qu’il sentait à la crispation de mon corps que le moment était venu d’aller faire quelques pas et prendre l’air.
Le parfait adjoint de l’écrivain. Presque un chien d’assistance, en fait.
Mes sessions d’écriture ne seront plus les mêmes, elles auront désormais une saveur douce-amère. En écrivant ce billet, je n’ai pas pu m’empêcher de couler un regard sur le côté, là où il devrait se trouver.
Je crois sans cesse deviner sa présence, un courant d’air, une ombre. Je sais que ce phénomène fait partie du processus de deuil, je l’ai déjà vécu au décès de mon frère et de mon père. Sans doute que l’origine du concept de fantôme vient de là, d’ailleurs.
Je ne sais pas encore quel effet me fera le prochain roman qui sortira sans qu’il ait été présent pour la rédaction.
Tout le monde insiste depuis ce mercredi sur la belle vie que je lui ai offerte, sur l’amour qu’il a reçu, sur le fait que la famille toute entière l’a soutenu durant les dix mois de sa maladie.
Vous avez raison, c’est un baume sur mon cœur meurtri de le savoir. Je vous remercie d’ailleurs tous de l’incroyable compassion et compréhension dont vous faites preuve et des innombrables preuves d’affection reçues ces trois derniers jours.
Mais je tenais aussi à rendre hommage à ce chien formidable qui m’a tant donné et sans qui les aléas de la vie m’auraient été plus difficiles et, pour certains, sans doute destructeurs.
On parle de rencontrer l’homme ou la femme de sa vie, je crois que Basile était le chien de ma vie.
Je termine avec ces mots de Victor Hugo, tellement justes :
« Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis ».


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