Le matin, je fais parler un squelette musical. L’après-midi, je décris une cour vénéneuse au cœur du Vatican. Et le soir, j’invente des chiens post-apocalyptiques qui comprennent mieux l’humanité que leurs maîtres.

Non, je ne souffre d’aucune dissociation multiple. Je suis juste une autrice qui écrit pour les enfants, les ados et les adultes, selon l’envie, le sujet ou la saison.

Et, contrairement à ce qu’on me dit souvent, non : ce n’est pas incompatible. C’est même ma façon de respirer. Cela ne signifie nullement que je m’éparpille. Pourquoi serait-il plus logique d’écrire toujours dans le même genre, pour le même public ?


C’est un refrain que j’entends régulièrement.
Parce qu’apparemment, on ne peut pas être crédible à la fois avec un roman jeunesse et un thriller historique.
On me demande parfois : “Mais tu préfères écrire pour qui ?” Et la vérité, c’est que je n’en sais rien. Parce que chaque public m’apporte quelque chose d’unique.


Écrire pour les plus jeunes, c’est apprendre l’humilité.
Impossible de se cacher derrière les effets de style ou les envolées lyriques : tout doit être clair, sincère, juste. Le moindre mot sonne faux ? Ils le sentent immédiatement.

La littérature jeunesse, c’est le royaume de la limpidité exigeante : il faut être simple sans être simpliste, drôle sans être bête, tendre sans être mièvre.

Et puis, écrire pour les enfants, c’est aussi retrouver la jubilation de la découverte. Leur monde est encore plein de “pourquoi ?”. Et moi, j’adore y répondre — ou parfois, ne pas y répondre du tout.

Et j’adore les rencontrer en salons, voir leurs yeux briller quand je colle un sticker pour embellir la dédicace.


Quand j’écris pour les adultes, je redeviens archéologue des émotions. Je gratte, je fouille, je questionne. Ici, tout est nuance, silence, ambiguïté. Là où les enfants veulent comprendre, les adultes veulent ressentir.

J’aime la liberté que ça donne : ne pas tout dire, laisser une zone d’ombre, un malaise, une ambiguïté.
Dans mes romans, j’explore ce que les contes d’enfants esquissent : la peur, la perte, la reconstruction. En somme, c’est le même moteur, mais dans une autre tonalité.


Le grand écart mental, je le pratique tous les jours. Je passe d’un univers à l’autre comme on change de costume : un décor, une voix, un rythme. Souvent, il me suffit de changer de carnet, de playlist, ou de thé (oui, j’ai un thé spécial “roman noir”, et un thé “Myrtille et Barnabé”).

Évidemment, il y a des ratés. Il m’est déjà arrivé d’écrire un passage de roman jeunesse où un personnage “empoisonnait gentiment quelqu’un pour rigoler”.
Spoiler : j’ai corrigé avant publication.

Mais ce mélange des genres m’amuse. Il me maintient en éveil. Et surtout, il m’empêche de m’enfermer dans une seule case. Comme je le dis souvent, je suis incapable de rester dans une case, je déborde, je dégouline^^


Quand je regarde mes livres, je vois des univers très différents. Et pourtant, tout ça raconte la même chose : la résilience, la curiosité, la liberté, la quête de sens. L’humanité.

Mes lecteurs ont peut-être cinq, dix, vingt, ou soixante ans. Mais ils cherchent tous la même chose : un moment d’évasion, une émotion qui reste, une phrase qui résonne.

Et moi, c’est ça que j’aime écrire : ces petits ponts invisibles entre les âges. Ce sentiment qu’une histoire peut parler à tout le monde, pour peu qu’elle soit vraie, sincère et un peu décalée.


On aime coller des étiquettes : littérature jeunesse, young adult, adulte. Moi, je préfère croire qu’il existe seulement de bonnes histoires — certaines pleines de lumière, d’autres plus sombres, mais toutes nourries du même terreau.

Je change juste la taille des chaussures de mes héros.


Tu lis (ou écris) des histoires pour des publics différents ?
Tu penses qu’un auteur doit choisir son camp, ou que les passerelles font la richesse de la littérature ?
Raconte-moi tout en commentaire.

(4 commentaires)

  1. J’aime lire. Voilà, c’est dit. Mais pas lire un genre, non. Je suis un lecteur papillon, un gourmet de mots, un aventurier du paragraphe. Je butine d’un thriller haletant à un recueil de poèmes, d’un roman historique en costume trois-pièces à une épopée spatiale pleine de tentacules interstellaires. Pourquoi choisir ? Entre un meurtre sur la Côte d’Azur, un baiser dans le Paris de 1830, une apocalypse zombie et un haïku sur le vent, mon cœur refuse de trancher.

    Lire, c’est comme voyager sans GPS : on part quelque part, on ne sait jamais où on va, mais on finit toujours par arriver ailleurs. Et c’est bien là tout le plaisir. Aujourd’hui je me retrouve à résoudre une énigme avec un détective au trench froissé, demain je chevauche un dragon en ruminant des vers de Baudelaire. Parfois même, j’ai la sensation que mon marque-page souffre du décalage horaire.

    Et si le lecteur a le droit de papilloter, pourquoi pas l’écrivain ? L’auteur, lui aussi, devrait pouvoir s’amuser à mélanger les genres comme un DJ de la littérature. Imaginez un roman où un chevalier du Moyen Âge enquête sur un crime commis par un robot poète ! Un sonnet où le tueur en série rime avec mélancolie ! Une fresque historique avec des zombies dans les tranchées ! La littérature n’est pas une boîte à chaussures étiquetée “thriller” ou “romance”. C’est un immense grenier plein d’objets hétéroclites : à nous d’y fouiller, de bricoler, de rêver.

    Et puis, soyons honnêtes : lire aujourd’hui, c’est une forme d’insoumission tranquille. Nous vivons entourés d’écrans qui clignotent comme des guirlandes de Noël sous caféine, de flux d’images qui jaillissent avant même qu’on ait eu le temps de dire « Ouf ! ». Le monde actuel est une rave party permanente où notre attention danse malgré nous. Alors, ouvrir un livre, s’asseoir sur un canapé et plonger deux heures dans des pages, c’est poser une pancarte invisible : « Ne pas déranger. Je sauve mes neurones. »

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