Sur le mur au-dessus du tableau, Amélie la maitresse des CP-CE1 a fixé une grosse pendule ronde très drôle. Au milieu se trouve un clown multicolore qui fait un grand sourire de sa bouche toute rouge. Ses longs bras forment les aiguilles, c’est rigolo. Souvent, à la récréation, les enfants de la classe s’amusent à se faire deviner l’heure en imitant les positions du clown. Mine de rien, même les CP savent lire l’heure grâce à la pendule d’Amélie.
Mais là, tout de suite, Barnabé n’a pas du tout envie de rire. Il n’attend qu’une chose : que le bras gauche du clown arrive sur le 4 et son bras droit sur le 6. Cela signifiera que c’est la fin de la journée et le début des vacances de Noël. Pour l’instant, le bras droit se trouve sur le 3, il ne semble pas pressé de descendre.
Ce n’est pas que Barnabé n’aime pas l’école ou Amélie, c’est surtout qu’il est impatient. Le centre commercial de la ville a annoncé qu’à partir d’aujourd’hui le père Noël viendra rendre visite aux enfants. Caroline, la maman de sa copine Myrtille, a promis de les emmener dès la sortie de l’école, avant qu’il y ait trop de monde.
Barnabé n’en peut plus ! Il regarde Myrtille, elle semble aussi calme que d’habitude. Elle a peut-être oublié ? Comment est-ce possible ? Il s’agit du père Noël, tout de même ! Dans son cartable, bien rangé, il y a un dessin que Barnabé a préparé tout exprès, avec ses plus beaux feutres. Il y a également des sablés à la vanille, emballés dans du papier alu. C’est lui qui les a confectionnés et il a hâte de les offrir au vieil homme.
Myrtille est plongée dans un livre, elle ne remarque pas les gestes de son ami, qui cherche à attirer son attention. Tout à coup, une main légère se pose sur l’épaule du petit garçon.
— Barnabé, je te trouve bien agité, ces dernières minutes. Quelque chose te dérange ?
C’est la voix d’Amélie. Honteux, Barnabé enfouit le nez dans son roman, sous les rires de ses camarades. Plus que dix minutes et la journée se finira.
La queue au centre commercial n’est pas très longue, à peine une vingtaine de personnes avant eux. Caroline avait raison, il valait mieux venir tôt. Ça n’avance pas vite, le père Noël accorde du temps à chaque enfant. Il leur parle, leur offre des papillotes. Les parents prennent des photos. Parfois, les plus petits pleurent, ils ont peur de cet immense bonhomme avec sa grande barbe blanche. Ils refusent de se laisser approcher de trop près. Barnabé ne l’avouera jamais, il se comportait comme eux avant. Maintenant qu’il a sept ans et demi, ce n’est plus pareil. Il est moins impressionné.
Le père Noël est vraiment gentil, il respecte leur panique, il ne les force pas. Au contraire, il reste à bonne distance et s’accroupit pour se mettre à leur hauteur. D’une voix très douce, des sourires lumineux dans le regard, il les rassure et les cajole. Presque tous finissent par se calmer le temps de la photo.
— Je ne vois pas l’intérêt, glisse Barnabé à l’oreille de Myrtille. Ils dégoulinent de morve, avec les yeux tout rouges d’avoir tant pleuré. Tu parles d’un souvenir !
Myrtille approuve de la tête.
— Moi, quand j’aurai des enfants, je ne les forcerai jamais à des choses qui leur font peur, ajoute son copain.
Caroline a entendu ses paroles, elle commente :
— Tu as bien raison, Barnabé. Mais tu sais, je pense que les adultes agissent souvent sans réfléchir à l’effet sur les bambins.
Il ne reste plus qu’un enfant devant eux, une toute petite fille dans une poussette, presque encore un bébé. Elle suce son pouce et observe le père Noël avec inquiétude. Dès qu’il fait mine d’avancer, elle lâche des cris perçants, plus forts qu’un avion à réaction. Myrtille et Barnabé ont envie de se boucher les oreilles. Comme les fois précédentes, le vieil homme s’agenouille face à la fillette.
Myrtille donne un grand coup de coude à son ami, elle produit d’abominables grimaces pour lui indiquer de regarder vers le bas. Barnabé suit la direction de son regard. En s’abaissant, le long manteau rouge du père Noël s’est relevé et on peut voir ses chaussures.
Ça alors ! Jamais ils ne se seraient attendus à ce spectacle. Ils en restent muets d’étonnement, tous les deux. Ils échangent un regard stupéfait, pendant que la maman de la petite prend sa fille en photo.