Pour la deuxième année consécutive, la lecture est à l’honneur en ce 10 mars. Les Français sont invités à prendre 15 minutes dans leur journée pour se poser avec un bon bouquin et à lire tranquillement. Au travail, dans les transports, à l’école… N’importe où, tant que la lecture est bonne !
Cela fait quelques années que ce genre d’initiative est largement relayée (et c’est tant mieux). On en trouve dans certaines entreprises et surtout dans les collèges et lycées.
J’ai eu un flash ce matin, directement venu de mon enfance. De mon année de CM2, plus exactement.
Je vous brosse le tableau rapidement : une gamine (moi) avec un an d’avance, qui dévore les livres depuis qu’elle a appris à lire, à 5 ans. Un peu dans la lune, assez farouche, peu en phase avec le monde qui l’entoure et qui a trouvé dans la lecture un moyen de se façonner une barrière efficace entre elle et les autres. Une école dans une petite ville de Seine-Saint-Denis, peuplée de gamins de cité et tenue par des instits (oui, la furieuse manie de faire semblant d’améliorer les choses en les renommant mais sans rien changer n’avait pas encore frappé. Les profs des écoles n’existaient pas encore) passionnés et un directeur d’une humanité renversante. La fin des années 70.
Dès le début de l’année scolaire, la maîtresse avait mis en place la lecture collective et silencieuse le vendredi après-midi.
Tous les élèves prenaient le même livre et lisaient un chapitre, dans le silence et le calme. Le temps dévolu à cette activité était calculé en se calant sur la vitesse de lecture du plus lent de la classe (aaaah, la pédagogie égalitaire des seventies…), afin que tout le monde en soit toujours au même endroit dans le livre.
Immense frustration pour moi, qui lisais déjà beaucoup et vite. Je finissais mon chapitre avant tout le monde et je devais rester sans rien faire jusqu’à ce que tous les autres aient terminé. Je piaffais de ne pouvoir aller plus loin. Oh, j’ai bien tenté de jeter un oeil fouineur sur le chapitre suivant, l’air de rien. L’instit aux yeux de lynx me grillait dans la seconde ! J’ai tenté en vain de convaincre mes parents de m’acheter le livre, pour le dévorer tranquillement chez moi (cela ne me dérangeait pas de le relire ensuite en classe).En général, je m’endormais la tête sur ma table, le moyen le plus simple de passer le temps. Cela m’évitait la tentation de me tortiller sur ma chaise et de m’attirer les foudres de l’autorité enseignante 😉
Double bénéf : de la lecture et une sieste !
La maîtresse, futée, avait choisi comme premier roman au premier trimestre ce titre :
Il raconte l’histoire d’une classe d’enfants de la région parisienne qui partent faire un séjour scolaire en Savoie.
La ville où j’ai grandi possédait un chalet dans les Alpes, qui servait pour des colonies de vacances, des séjours familiaux et… des classes de neige pour les trois groupes scolaires ! Plusieurs générations d’enfants de CM2 y sont partis avec leur classe et leur enseignant. Un séjour qui durait 3 semaines. Vous imaginez ? 3 semaines !
Tous les enfants partaient, quelle que soit leur condition sociale. C’était une volonté de la mairie de ne laisser aucun petit sur le carreau. Dans les locaux municipaux, on pouvait trouver une pièce remplie de combinaisons de ski, de salopettes, de bottes de neiges… tout l’attirail du parfait skieur, dans plusieurs tailles. Parce que ce genre de choses coûte une blinde et que les parents ne pouvaient pas forcément se le permettre. Il suffisait d’aller en mairie et d’emprunter ce dont l’enfant avait besoin pour son séjour. Les familles qui en avaient les moyens payaient une participation, adaptée à leurs revenus. Les autres étaient intégralement pris en charge.
Ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai réalisé le gouffre financier que cela représentait pour le budget d’une commune aussi petite (environ 7000 habitants à cette époque). Entre le coût du chalet et de ses employés, le financement du trousseau empruntable, la prise en charge du séjour… (Pour paraphraser un titre de film : Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir une mairie communiste !)
Pour la plupart d’entre nous, la classe de neige représentait une foule de premières fois : première séparation aussi longue d’avec les parents, premières « vacances », premier séjour à la montagne, première fois sur les skis (objectif : rafler au moins sa première étoile !), première fois hors de la cité, premières amourettes et slows dansés pendant les veillées…
La lecture hebdomadaire du Chalet des joues roses levait un pan du voile sur les mystères et les délices qui nous attendaient en février pendant notre propre classe de neige. Ces mômes dont nous lisions les aventures nous ressemblaient en tous points et l’identification était immédiate et totale. Bien évidemment, même les plus cancres de la classe, même les plus paresseux, même les plus révoltés, même les multi-redoublants, se sont pris de passion pour cette histoire. Et sont entrés en littérature, à tel point que, pour notre deuxième roman en collectif, nous sommes passés à deux chapitres le vendredi, car tous avaient amélioré leur vitesse de lecture. Si ma mémoire ne me joue pas de tours, il me semble que nous avons dégommé cinq ou six romans en tout dans l’année scolaire. Le rendez-vous lecture du vendredi après-midi était devenu un rendez-vous attendu et apprécié (même de moi, puisque j’ai fini par obtenir le droit d’apporter un livre de chez moi pour lire plutôt que de dormir).
Futée, l’instit, je vous dis !
La classe de neige a été magique, même si nous n’avons pas vécu les mêmes choses que les petits personnages du roman.
Alors, en ce 10 mars qui met la lumière sur la lecture, je tenais à remercier du fond du coeur ceux qui ont permis à tant d’enfants de ma ville d’avoir une dignité indépendante de leur condition, d’avoir accès aux livres de multiples façons et qui ont donné le goût de la lecture à ceux pour qui c’était loin d’être évident.
L’équipe enseignante de l’école Paul Langevin
Isabelle Pajaniandy, mon instit de CM2
Marcel Dufils, le directeur
Josiane Andros, maire de l’Ile-Saint-Denis de 1971 à 1998
BONUS : Si vous êtes arrivés jusqu’ici, vous avez déjà presque atteint vos 15 minutes de lecture pour le #10marsjelis 😉