L’écriture est un art souvent difficile, qui sous-entend à peu près autant de méthodes qu’il y a d’écrivains. Chacun a sa routine, ses habitudes, voire ses besoins inébranlables pour écrire. Par exemple, je connais des auteurs qui sont incapables d’écrire la moindre ligne s’ls ne sont pas dans le silence complet. D’autres, dont je fais partie, ne conçoivent la création qu’en musique. Certains sont plutôt du matin, du soir, ou de la nuit. Les plus chanceux peuvent écrire à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ou même sur commande, il leur suffit de le décider et d’ouvrir les vannes.

Pour ce qui est de la façon de travailler, du processus créatif, les auteurs sont divisés généralement en deux catégories bien distinctes : les architectes et les jardiniers. Qu’entend-on par là ?

L’architecte est un auteur pour qui l’écriture vient en tout dernier dans le processus. Avant de se lancer, stylo en main ou doigts au-dessus du clavier, l’architecte a pris une foule de notes. Il a créé des plans, un découpage précis, chapitre par chapitre, scène par scène. Ses personnages sont déjà intégralement conçus, avec une biographie complète et une foultitude de renseignements dignes d’un dossier de la CIA (et ce, même si une bonne partie de ces infos ne serviront pas dans le roman proprement dit). L’architecte ne travaille jamais sans une trousse pleine de stabilos de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. C’est le champion des petites fiches, des carnets, des post-it qui se déplacent d’une feuille à l’autre. Il sait même le nombre de mots final, à plus ou moins 10 %. Il n’est pas rare que le travail préparatoire soit plus épais que le livre final et que cette partie « conception » lui prenne le double (triple, quadruple…) du temps qu’il va consacrer à l’écriture proprement dite. Lorsque l’architecte commence à écrire, il a déjà effectué au moins 80 % du boulot. Il peut d’ailleurs écrire son livre dans n’importe quel ordre, un peu comme un tournage de film.

Le jardinier, à l’inverse, ne prépare rien. Il sème une graine d’idée, l’arrose et attend. Il observe ce qui va pousser, avec curiosité, sans jamais vraiment savoir à quoi s’attendre . Une fleur ? Un arbuste ? Une plante comestible ? Un arbre ? Une mauvaise herbe ? En fonction de ce qui surgit peu à peu, le jardinier organise une histoire dans un coin de sa tête et s’attelle assez rapidement à la phase d’écriture. Plus ou moins à l’instinct, sans idées préconçues sur le résultat final. Assez souvent, il est incapable de dire si son livre sera court ou long, s’il sera en un ou plusieurs tomes, si la fin en sera ouverte ou fermée, heureuse ou pas. Le vrai jardinier n’effectue aucun travail préliminaire, puisque le gros de sa tâche vient après le premier jet. Il écrit, se laissant guider par son imagination, d’une façon linéaire qui suit le déroulement de l’histoire. Puis seulement attaque une relecture qui va traquer les oublis, incohérences (un personnage un coup blond, un coup brun, par exemple) et problèmes créés dans le feu de l’action.

Chacune de ces deux manières d’envisager l’écriture possède ses avantages et ses inconvénients. Là où l’architecte est rassuré par le cadre très clair qu’il s’est créé, qui lui permet d’établir un planning précis d’écriture, le jardinier ne bride jamais sa créativité par des contraintes. Là où l’architecte renonce souvent à des « histoires dans l’histoire » qui auraient pu se révéler passionnantes, le jardinier se perd parfois à suivre des tiges folles, jolies mais qui ne l’emmènent nulle part.

De mon expérience personnelle, il est assez rare qu’un auteur passe de l’un à l’autre. Quand on commence à écrire, on se range presque aussitôt d’instinct dans l’une ou l’autre des catégories, sans en changer. Bien sûr, un architecte peut développer au fil du temps des habitudes qui le rapprochent du jardinier, et vice-versa. La frontière entre les deux est poreuse et offre de multiples possibilités d’interactions. Heureusement, d’ailleurs ! Dans ce domaine comme dans tant d’autres, rien n’est tout blanc ou noir, rien n’est figé.

Et moi dans tout ça ? À votre avis ?

Je suis de la team jardiniers. Depuis toujours, pour le meilleur et pour le pire.

Dès mon plus jeune âge, mes premières expressions écrites puis dissertations, je n’ai jamais fait de brouillon. Ni de plan. Le travail préparatoire a toujours été exclusivement intérieur, avant un passage frénétique à la rédaction. Je ne sais jamais à l’avance où mon histoire va me mener. Mes personnages me font parfois la vie dure, m’obligeant à écrire des scènes que je n’avais pas anticipées, ou emportant l’intrigue dans une direction inattendue. Cela me complique la vie pour de multiples raisons, mais je ne changerais cet état de fait pour rien au monde. Même si comprends tout à fait pourquoi certains de mes collègues ne jurent que par la team architectes, me forcer à les rejoindre reviendrait à couper définitivement tout élan créateur !

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